Pourquoi a-t-on décidé d’éclairer les rues parisiennes ?

Paris, aujourd’hui « ville-lumière », a longtemps vécu dans les ténèbres. Ce que l’on considère comme un acquis et une évidence de nos jours est en réalité le fruit de nombreux tâtonnements durant le Moyen Âge et la Renaissance. Ce n’est que sous Louis XIV que l’éclairage public moderne voit le jour. Pourquoi et comment a-t-on décidé d’éclairer les rues parisiennes ?

Paris est aujourd’hui réputée pour ses nombreuses illuminations : de la tour Eiffel aux vitrines des grands magasins, c’est toute la ville qui scintille de mille feux. Mais avant d’être celle que nous connaissons comme la « ville-lumière », la capitale a longtemps vécu dans l’obscurité. L’éclairage régulier des rues de Paris n’est apparu qu’au XVIIème siècle après de nombreux tâtonnements.

Si les responsables politiques se sont très vite intéressés à l’éclairage des rues la nuit, ce n’est pas pour une question de confort ou d’esthétique. C’est avant tout pour une question de sécurité. Au Moyen Âge, l’insécurité qui règne la nuit est un fléau terrible qui frappe toutes les villes. La nuit tombée, voleurs et brigands se pressent dans les rues pour commettre leurs larcins. Les Parisiens, pauvres ou nobles, ne sortent la nuit que s’ils n’ont pas le choix. Les dangers de la vie nocturne à Paris ont même inspiré à Boileau un poème :

« Le bois le plus funeste et le moins fréquenté
Est, au prix de Paris, un lieu de sûreté.
Malheur donc à celui qu’une affaire imprévue
Engage un peu trop tard au détour d’une rue !
Bientôt quatre bandits, lui serrant les cotés :
« La bourse ! il faut se rendre ! »

Éclairer les rues de Paris est donc avant tout une question de lutte contre l’insécurité. Les tentatives en ce sens commencent dès le XIIIème siècle mais l’éclairage public n’apparaît vraiment que sous Louis XIV. Pourquoi et comment a-t-on décidé d’éclairer les rues parisiennes ?

La mise à contribution des habitants et de leurs fenêtres

Durant plusieurs siècles, les monarques ont tenté de mettre à contribution les habitants de la capitale pour éclairer les rues de Paris. Mais les ordonnances royales sont généralement restées sans effet, ignorées par la population.

En 1258, le roi Saint-Louis demande à chaque habitant d’« éclairer sa façade à l’aide d’un pot-à-feu sous peine, pour tout contrevenant, d’amende et de peine de prison ». Par la même ordonnance, le roi autorise les bourgeois à constituer une milice la nuit « pour la sûreté de leurs biens et pour remédier aux périls qui surviennent toutes les nuits dans Paris par feu, vols, larcins, rapts ».

Cette milice, appelée « guet », fait des rondes la nuit dans la capitale. Elle est armée de falots, lanternes portatives attachées au bout d’un bâton ou portées à la main. L’ordonnance est cependant peu efficace. Les milices bourgeoises sont apeurées face à la brutalité des brigands et les Parisiens ne prennent pas la peine d’éclairer leur façade.

Les injonctions faites aux habitants d’allumer des chandelles sont souvent liées à un danger qui menace la capitale. En 1524, sous François Ier, des groupes de brigands sèment la terreur en provoquant des incendies dans de nombreuses villes du royaume. En prévention, le Parlement de Paris ordonne aux bourgeois de la ville de mettre des lanternes à leur fenêtre à partir de 9 heures du soir.

Ils doivent également disposer chaque soir un seau rempli d’eau près de leur porte afin d’anticiper toute menace d’incendie. L’ordre est toutefois peu suivi car la dépense est aux frais des habitants. De plus, les malfaiteurs peuvent de nouveau sévir une fois la chandelle éteinte et les chandelles ne durent que quelques heures…

En 1553, des malfrats collent sur les murs de la capitale des « placards injurieux » (des affiches) contre le Prévôt des marchands. Ce dernier, sorte de « maire » de l’époque, s’occupe de l’approvisionnement de la ville et des travaux publics. C’est à la suite de cet incident que le Parlement demande au « lieutenant-criminel » de faire mettre « lanternes et chandelles ardentes » aux fenêtres des maisons.

Les falots ou la première tentative d’éclairage public

En 1558, Henri II tente de doter la ville d’un système d’éclairage régulier : les falots. Il s’agit d’un poteau de bois au sommet duquel est attaché un bras de potence. Une chaînette, accrochée au bras de potence, soutient un lourd panier de fer rempli de résine et d’étoupes qu’on allumait. L’arrêt ordonne qu’un falot ardent soit posé à chaque coin de rue et au milieu des rues les plus longues. Les falots doivent être allumés de 10 heures du soir à 4 heures du matin pendant 4 puis 6 mois dans l’année.

C’est une nouvelle mesure de lutte contre l’insécurité qui sévit à Paris la nuit : l’arrêt est en effet dirigé contre « les larrons, voleurs, effracteurs de portes ». Les falots produisent une lueur rougeâtre suffisante pour trouver son chemin la nuit. Mais ils produisent également beaucoup de fumée, ce qui provoque le mécontentement des habitants.

Le système des falots prend fin avec la Ligue, mouvement populaire qui entend défendre le catholicisme contre le protestantisme pendant les guerres de religion. Désobéir aux lois devient un acte de résistance. L’éclairage public est délaissé pendant cette période de troubles durant presque 100 ans. L’insécurité règne de nouveau en maître. Les aristocrates sortent la nuit avec des laquais qui portent des torches. Les bourgeois tiennent des lanternes. Les pauvres serrent les dents et comptent sur leur bonne étoile…

Les porte-lanternes, des « hommes-lumière » :

Un changement majeur se produit sous le règne de Louis XIV avec l’abbé napolitain Laudati de Caraffa. Ce dernier cherche un moyen de gagner de l’argent en permettant aux habitants de sortir la nuit en toute sécurité. En 1652, une lettre royale lui donne l’autorisation d’établir à Paris un service payant de porteurs de flambeaux et de lanternes pour les promeneurs qui le souhaitent.

Après avoir enregistré la lettre royale, le Parlement de Paris impose à l’abbé une sorte de « cahier des charges ». Les flambeaux-bougies utilisés par les portes-lanternes ne peuvent être fournis que par les épiciers de Paris à un prix fixe. La rémunération des portes-lanternes est de 5 sous le quart d’heure en carrosse et 3 sous le quart d’heure à pied.

La façon d’exercer le métier est réglementée : lorsqu’un promeneur demande les services d’un porte-lanterne, ce dernier doit allumer sa mèche, puis il reçoit sa rémunération, puis il retourne son sablier et seulement alors se met en marche. Un nouveau métier est né !

Les portes-lanternes ne sont cependant pas très efficaces pour la sécurité : il arrive souvent qu’ils agressent eux-mêmes les clients qu’ils sont censés protéger… Toutefois, tous ne devaient pas être corrompus puisqu’on retrouve des porte-lanternes jusqu’au début du XIXème siècle !

Nicolas de la Reynie ou le fondateur de l’éclairage public moderne

L’éclairage public moderne voit le jour sous le mandat de celui que l’on considère comme le père de la police moderne : Nicolas de la Reynie. En 1667, Louis XIV crée la charge de Lieutenant général de police et nomme Nicolas de la Reynie à cette nouvelle fonction. La consigne que lui donne le roi tient en trois mots : « netteté, clarté, sécurité » !

Le nouveau Lieutenant se met rapidement à la tâche. Il supervise l’enlèvement des boues, il organise des gardes de nuit et met en place un service d’éclairage. Il ordonne l’éclairage des rues du 1er novembre au 1er mars, même les soirs de pleine lune. Les premières lanternes d’éclairage public apparaissent dans la ville de Paris.

Elles sont composées de petits carreaux assemblés au plomb et d’un capot pour protéger la chandelle. Les lanternes sont suspendues à des cordes nouées sur un mat à hauteur du premier étage. Pour la première fois, elles sont uniformisées et marquées du blason du roi. En quelques mois, près de 2800 lanternes sont installées dans les rues de Paris.

Le lieutenant de police impose avec fermeté aux bourgeois d’entretenir les lanternes dans leurs rues. Lorsque la nuit tombe, un sonneur passe dans les rues de Paris en faisant résonner une petite cloche. A ce signal, les bourgeois doivent lâcher la corde fixée au mur de leur maison, descendre la lanterne et allumer les chandelles.

Les chandelles, qui durent jusqu’à deux heures du matin, permettent pour la première fois de diminuer les attaques nocturnes. Les rues deviennent à peu près sûres l’hiver mais les brigands se remettent à l’œuvre dès le printemps. A la suite de nombreuses plaintes de bourgeois, l’éclairage est étendu du 20 octobre au 31 mars.

Les contemporains apprécient les bienfaits de ce nouvel éclairage. Au mois de décembre 1673, Mme de Sévigné écrit à sa fille :

« Nous soupâmes encore hier avec Mme Scarron et l’abbé Têtu chez Mme de Coulanges ; nous trouvâmes plaisant de l’aller remener à minuit au fin fond du faubourg Saint-Germain, fort au-delà de Mme de La Fayette, quasi auprès de Vaugirard, dans la campagne. Nous revînmes gaîment à la faveur des lanternes et dans la sûreté des voleurs. »

Le lieutenant Nicolas de la Reynie a posé les bases de l’éclairage public moderne. Les évolutions techniques se sont succédé depuis. Le XVIIIème siècle voit l’apparition des lanternes à réverbères et de l’éclairage à huile.

L’éclairage au gaz apparaît au XIXème siècle place du Carrousel à Paris avant de se répandre dans toute la capitale sous Haussmann. L’éclairage à électricité apparaît fin XIXème avenue de l’Opéra à Paris. Il remplacera définitivement l’éclairage au gaz avec l’apparition de la lampe à incandescence début XXème. 

Maintenant que vous en savez plus sur l’épopée de l’éclairage des rues parisiennes, vous pourrez apprécier pleinement les nuits où vous rentrez chez vous après une folle soirée dansante ou un bon restaurant entre amis…