La Révolution française est considérée aujourd’hui comme un événement fondateur de notre démocratie. Si elle a été l’occasion de nombreuses avancées politiques, elle a aussi été à l’origine de nombreuses destructions dans le patrimoine religieux français et notamment parisien. Découvre quel sort la Révolution française a réservé aux églises parisiennes !
Aujourd’hui, la Révolution française est un symbole commun pour tous les Français. Le jour de la prise de la Bastille est d’ailleurs devenu notre fête nationale. La réalité historique de la Révolution n’est cependant pas toute rose… A Paris, plus d’une trentaine d’églises disparaissent pendant ces années. L’île de la Cité est réduite de 17 à 2 églises : Notre-Dame et la Sainte-Chapelle. Et encore, elles se retrouvent dans un bien triste état.
Si la conservation du patrimoine est un sujet très sensible de nos jours, c’est loin d’être le cas à l’époque. Il faut dire que la situation politique de la France est exceptionnelle à ce moment-là. La Révolution intervient dans un contexte de grave crise financière du pays dont elle est en partie le résultat ! L’Etat manque cruellement d’argent et voilà qu’il va en avoir cruellement besoin : les monarchies européennes déclarent la guerre à cette France révolutionnaire. C’est dans ce contexte que les églises et leurs richesses vont être mises à profit. Car si les églises sont « sanctifiées » aujourd’hui en tant qu’objets du patrimoine national, elles représentent à l’époque tout ce qui fait horreur à la Révolution : le clergé, la religion, la monarchie !
Un petit peu d’histoire : le divorce tonitruant entre l’Église et la Révolution !
Au siècle des Lumières où triomphe la Raison, l’Église est vue comme l’ennemie à abattre : il faut « écraser l’Infâme » clame Voltaire ! Mais c’est surtout la crise financière de l’État et le besoin de renflouer les finances qui déclenchent la crise. Cela tombe bien : l’Église est riche, très riche ! En plusieurs siècles, elle a eu le temps d’amasser énormément de richesses. Elle est le principal propriétaire immobilier de France avec ses milliers d’églises, de monastères et d’hôpitaux. Et elle dispose de milliers d’œuvres d’art, en tant que principal commanditaire d’œuvres d’art !
Acte I : Le 2 novembre 1789, un décret voté par l’Assemblée constituante met les biens du clergé à la disposition de l’Etat mais le clergé continue de les administrer. La situation se détériore en décembre 1789 : la Constituante met en vente des domaines d’églises pour gagner 400 millions d’assignats. L’assignat, c’est un titre d’emprunt qui permet à l’Etat d’encaisser rapidement l’argent avant même d’avoir réalisé les actes de vente ! Les caisses de l’Etat sont vides et il faut le plus rapidement possible les renflouer.
Acte II : Le 13 février 1790, l’Assemblée constituante décide de supprimer les ordres religieux et d’abolir les vœux monastiques. Le vœu d’obéissance est jugé contraire à la liberté du citoyen et la liberté est une des valeurs-flambeaux de la Révolution (« liberté, égalité, fraternité », ça vous dit quelque chose ?). Les monastères et les couvents sont alors vidés (de leurs moines et de leurs trésors).
Acte III alias « coup de grâce » : Le 12 juillet 1790, l’Assemblée constituante vote la Constitution civile du clergé. Qu’est-ce que c’est ? Une tentative d’organisation d’une église nationale (et non plus soumise à la papauté). Le clergé devient un simple fonctionnaire au service de l’État. Curés et évêques sont désormais élus au suffrage direct et indirect par les citoyens riches (égalité, mais pas trop quand même). Tous les ecclésiastiques de France doivent prêter « serment religieux » de fidélité à la Constitution. Le pape est contre (étonnant !) et le roi (encore vivant) aussi.
C’est dans ce joyeux contexte que les églises sont pillées voire détruites, en tout cas vidées de leurs curés et de leurs trésors. Ces décrets, dans l’esprit des Constituants, ne sont pas une simple mesure d’anticléricalisme mais ont une justification théorique. La richesse pluriséculaire de l’Eglise est le fruit de legs et de donations qui lui ont été faits pour qu’elle accomplisse sa triple mission : le culte mais aussi l’enseignement et l’assistance (aux pauvres et aux malades). Sauf que la Constitution civile du clergé décide que les deux dernières fonctions reviennent désormais à l’Etat. Il est donc légitime que l’Etat récupère tous ces biens !
L’étrange destinée des églises parisiennes
La plupart des églises sont vendues à des spéculateurs pour des prix dérisoires. Ils ne cherchent pas à entretenir les édifices mais à faire un placement financier. Ils achètent l’église, la font démolir puis revendent le terrain. Les nombreux couvents parisiens, qui s’étendent alors sur de grands domaines, sont les principales victimes de la spéculation. La plupart des grandes maisons religieuses de Paris disparaissent, comme le Couvent des Minimes place des Vosges ou le Couvent des Grands Augustins dans le 6ème.
D’autres églises connaissent une destinée plus insolite. Les plus chanceuses sont transformées en lycées ou casernes : le Couvent des Capucins devient le Lycée Condorcet, Saint-Geneviève devient le Lycée Henri IV et le Val-de-Grâce est occupé par l’armée. D’autres se reconvertissent dans des secteurs plus industriels. Certaines sont converties en lieux de stockage ou en remises, d’autres sont transformées en petites « usines ». L’église paroissiale Saint-Landry, bâtie au VIIIème siècle sur l’île de la Cité, est vendue pour être transformée… en atelier de teinturerie !
Certaines églises sont mises à contribution dans leur « chair » pour l’effort de guerre. La toiture des églises est réalisée dans un matériau de couverture souple et étanche : le plomb. Etonnante coïncidence : il se trouve que les munitions des armes de l’époque sont des balles faites… en plomb ! On démonte alors les toits des églises ainsi que les vitraux pour en récupérer le plomb et fabriquer des balles. Les églises se retrouvent à ciel ouvert et pourrissent sous les intempéries. D’autres églises, comme Saint-Germain-des-Prés, sont converties en salpêtrières. Le salpêtre, c’est une substance humide qu’on recueille sur les murs des caves ou des bâtiments humides et qui entre dans la composition de la poudre. Les églises deviennent des matières premières pour les armes de guerre !
Les moins chanceuses sont carrément utilisées comme carrières de pierres. C’est le cas de l’église Saint-Jacques-la-Boucherie rive droite qui est vendue puis démontée lors de la Révolution pour le commerce de ses pierres. Il en reste un dernier vestige aujourd’hui qui n’est autre… que la Tour Saint-Jacques !
L’étonnante destinée des biens d’église
Tous les biens d’église connaissent eux aussi un destin « étonnant ». La vente des anciens biens du clergé est décidée en août 1792. Le mobilier des églises ainsi que les œuvres d’art qui décorent les édifices sont saisis et entassés dans des dépôts. A Paris, des milliers de peintures et de sculptures sont stockées dans l’ancien couvent des Petits-Augustins, devenu depuis l’école des Beaux-Arts.
Les églises sont littéralement vidées, à l’exception des œuvres qui font corps avec le bâtiment. Le travail est méthodique : les commissaires chargés des saisies sont de fins connaisseurs et dressent des procès-verbaux bien faits.
Certains objets connaissent un destin plus tragique. L’orfèvrerie présente dans les trésors d’église et tous les objets qui contiennent du métal précieux sont fondus pour donner de l’argent et de l’or aux finances publiques. Des milliers de calices, crucifix, chandeliers parfois vieux de plusieurs siècles viennent renflouer les caisses de l’État.
Tous les mobiliers et ouvrages en bronze sont fondus et transformés en canons pour participer à l’effort de guerre. Certaines œuvres célèbres disparaissent comme la châsse de Sainte-Geneviève, vieille de 10 siècles et véritable objet de dévotion publique. Les cloches des églises, masses imposantes d’airain, figurent au rang des objets les plus durement touchés. Les églises sont alors fières de posséder plusieurs cloches, chacune avec un son unique.
Rapidement, les révolutionnaires décident de ne laisser qu’une cloche dans chaque église et de fondre les autres pour faire de beaux canons retentissants. En 1792, un député se plaint même que les cloches ne sont pas décrochées assez vite : « Faites de ces bronzes idolâtres ou superstitieux des bouches de feu qui vomissent la mort sur nos ennemis ! ». Sacrée punchline !
De nombreux biens d’églises vont vivre, au-delà de la destruction physique, de cuisantes humiliations. Dès 1793, des révolutionnaires se livrent à des parodies carnavalesques des sacrements comme l’eucharistie. Durant ces mascarades, des cortèges d’hommes déguisés en religieux miment des gestes grossiers, singent les cérémonies de culte, chantent des chansons à boire en utilisant pour leurs beuveries des coupes sacrées. Ils allument des bûchers et brûlent, dans un grand feu de joie, vêtements, livres liturgiques, tableaux d’autel. Ils fracassent le mobilier en bois, stalles, confessionnaux ou chaires, et s’en servent ensuite de bois de chauffage.
Etude de cas n°1 : la Sainte-Chapelle découronnée
La Sainte-Chapelle compte parmi les victimes célèbres de la Révolution. Construite à la demande du roi Saint-Louis pour abriter les reliques de la couronne d’épines, elle représente à la fois la royauté et la religion, deux grands ennemis des révolutionnaires.
Elle est alors dotée d’une flèche, entourée d’une couronne, qui pointe très haut dans le ciel. Les édiles municipaux mettent en place de nombreuses pétitions pour la faire tomber. Un devis est demandé à l’architecte qui propose de la démonter en abandonnant à l’entrepreneur tous les matériaux récupérés, pour ne pas le payer. Le trou est laissé béant pendant plusieurs mois.
La statue de la Vierge est découronnée et le sculpteur Daujon est chargé de faire disparaître les nombreux insignes de l’Ancien Régime. Armoiries, couronnes et fleurs de lys (110 selon ses propres revendications) disparaissent sous les coups de son ciseau !
La Sainte-Chapelle est transformée à de multiples reprises. Elle sert de club, de dépôt de farine puis de dépôt d’archives du palais de justice. Cette dernière transformation lui cause de nombreux dommages. Pour installer des rayons, des vitraux réalisés par de grands maîtres verriers du Moyen Âge sont cassés et les statues d’apôtres adossées aux piliers de la chapelle haute sont enlevées. Deux sont d’ailleurs brisées lors de l’opération…
Etude de cas n°2 : Notre-Dame-de-Paris décapitée
La cathédrale Notre-Dame-de-Paris est elle aussi endommagée sous la Révolution. En 1792, le comité de la section de la Cité procède à l’enlèvement nocturne des principales pièces du trésor, un des plus riches de France. Reliquaires en or ou sertis de pierres précieuses, châsses de saints, calices, crucifix, disparaissent du trésor. La flèche à la croisée du transept est abattue et le sculpteur Baujon gratte les armoiries, les fleurs de lys et les couronnes en bas-relief.
Mais le plus grand dommage a lieu sur la galerie supérieure de la façade principale. Elle comporte alors 28 statues des rois de Juda et d’Israël qui sont pris par erreur pour des rois de France. On enlève dans un premier temps leur couronne. Le procureur Chaumette écrit en 1793 : « Sans doute qu’on n’oubliera pas de décapiter, tout au moins, tous ces rois de pierre qui surchargent le portail de l’église métropolitaine ».
La commune de Paris décide de les faire enlever : on leur met la corde au cou et on les précipite sur le parvis où elles se fracassent. Les entrepreneurs récupèrent les pierres pour leurs chantiers mais, par chance, un enseignant récupère les têtes et les enterre dans son jardin. Elles sont retrouvées en 1977 lors de travaux dans la cour de son hôtel particulier ! Elles sont exposées aujourd’hui au musée de Cluny.
Toute chose ayant une fin, la vente des églises cesse à partir du Concordat signé entre Napoléon et le Pape en 1801. Les édifices de culte peuvent de nouveau être utilisés par le clergé même si l’Eglise doit renoncer à tous les biens qu’elle possédait avant la Révolution. Ces quelques années ont cependant suffit à mettre à mal le patrimoine religieux parisien (et français) !
Heureusement, certaines églises encore debout, comme Notre-Dame ou la Sainte-Chapelle, seront restaurées à la fin du XIXème siècle lors de chantiers considérables… C’est d’ailleurs le moment où les questions de conservation et préservation du patrimoine commencent à prendre de l’ampleur !